« La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».
Organisation mondiale de la Santé, 1946
Le terme de « risques psychosociaux » est assez récent, et rencontrerait sa génèse au cours des années 2000 comme une extension du terme « stress », bien que cette notion, et donc ces risques, soient originellement apparus dans les années 1970 avec les modifications profondes du monde du travail (Valléry & Leduc, 2012). Ces risques se situeraient à l’interface entre l’individu et sa situation de travail, c’est pourquoi nous pouvons les qualifier de « psychosociaux » (Clot, 2010).
Les RPS : qu’est-ce que c’est?
Les risques psychosociaux correspondent à la probabilité d’altération de l’état de santé, physique et/ou mentale, qui serait en lien avec l’environnement socioprofessionnel. En effet, le monde du travail est de plus en plus marqué par un accroissement des contraintes, que ce soit en matière de flexibilité, de coûts et de délais, du fait de la recherche constante d’une union entre rentabilité à court terme et amélioration de la qualité (des produits, des services vis-à-vis des clients…) (Valléry & Leduc, 2012). En plus des troubles grandissants appartenant au domaine du physique (troubles musculo-squelettiques ou TMS), d’autres troubles, appartenant cette fois-ci au domaine du psychique, sont apparus de manière concomitante.
Les conséquences psychologiques ou comportementales sont évidemment plus difficiles à repérer que les conséquences physiques, plus délicates à attribuer au travail et non à l’individu lui-même ou encore à sa vie personnelle (Manoukian, 2009). Selon Karasek (1979), « un travail qui soumet l’individu à une charge élevée et à une cadence rapide, tout en lui laissant une faible marge de manœuvre pour organiser l’exécution de sa tâche, génère une tension psychologique (strain) qui augmente la probabilité d’apparition de problèmes de santé ».
Christophe Dejours, psychiatre, psychanalyste et médecin du travail, identifie deux grands périls psychiques causés par les conditions de travail, à savoir la peur et l’ennui. Etre confronté à un risque d’accident ou d’agression sur son lieu de travail ou être astreint à une tâche monotone (aussi appelé bore-out) constituent des situations délétères pour la santé mentale et somatique (Moliner, 2006).
« Les risques psychosociaux sont définis comme des risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental »
Collège d’expertise sur le suivi des RPS
Quels sont les facteurs à l’origine des RPS ?
Les causes des risques psychosociaux peuvent être regroupés en cinq grandes familles :
- exigences du travail et organisation : autonomie, degré d’exigence au travail en ce qui concerne la qualité et les délais, vigilance et concentration attendues, ordres contradictoires, délais et objectifs flous, surcharge des tâches professionnelles, intensification des horaires, interruptions régulières ;
- management et relations de travail : nature et qualité des relations avec les collègues ou les supérieurs (solidarité, collectif), reconnaissance du travail effectué et de la qualité des efforts fournis, rémunération, justice organisationnelle ;
- conflits de valeur et qualité empêchée : ne pas pouvoir échanger avec ses collègues ou son encadrement sur les méthodes et les objectifs de son travail, perte ou absence du sens du travail pour un employé, impression de faire un travail inutile, non prise en compte des attentes des salariés, non développement des compétences, mauvais équilibre entre vie professionnelle et vie privée, conflits d’éthique ;
- exigences émotionnelles : situation avec des relations difficiles à gérer émotionnellement, contacts difficiles avec les différents interlocuteurs, devoir masquer ses émotions réelles devant ses interlocuteurs, violences physiques ou verbales ;
- insécurité de la situation de travail : nouvelles technologies, insécurité de l’emploi, restructurations, précarité d’un contrat, changement de qualification ou de métier sans préparation adéquate en amont
Quelles sont les conséquences des RPS?
Les conséquences des risques psychosociaux sont nombreuses et néfastes, tant pour la santé de l’individu en souffrance que pour l’entreprise dans laquelle il exerce. Pour l’entreprise, nous pouvons établir un lien entre les risques psychosociaux et :
- l’absentéisme,
- le turn-over (taux élevé de rotation du personnel),
- le non-respect des horaires ou des exigences de qualité,
- des problèmes de discipline,
- la réduction de la productivité,
- des accidents de travail et des incidents,
- la non-qualité (augmentation des rebuts et des malfaçons, etc.),
- une dégradation du climat social,
- des atteintes à l’image de l’entreprise…
Pour l’individu, les RPS ont des effets délétères à la fois sur la santé physique et mentale des travailleurs. En effet, la littérature sur le sujet a mis en évidence un lien entre les RPS et :
- le stress, le burn-out
- l’augmentation de la tension artérielle,
- l’augmentation des comportements à risques,
- les maladies cardio-vasculaires,
- les troubles musculo-squelettiques (ou TMS),
- les pathologies mentales (dépression, anxiété)
Le stress, grand fléau du XIXème siècle?
La notion de risque psychosocial ne peut se détacher de celle du stress au travail, le premier étant considéré comme étant une cause du second. De nos jours, le terme « stress » est un mot très employé par les médias en ce qui concerne le monde du travail mais aussi la vie quotidienne. Il est même souvent vulgarisé au point de le dénaturer de son sens premier. En effet, la société de consommation dans laquelle nous vivons nous amène et/ou nous contraint à être de plus en plus performants à tous les niveaux : famille, travail, relations sociales… C’est cette exigence ou cette accumulation d’exigences, de plus en plus prégnante, qui engendre le stress. L’omniprésence de cette notion, tant dans le discours populaire que dans les médias, lui a conféré le statut de « maladie du siècle ».
Alors que la plupart des français considèrent que le travail est nécessaire à leur développement personnel, un sur deux s’estime stressé à cause de son emploi, et déclare ressentir intensément les rythmes imposés et/ou un manque de reconnaissance au regard de l’implication déployée (Valléry & Leduc, 2012).
Quelles sont les origines du mot « stress »?
Le mot « stress » vient du latin stringere qui signifie « tendre de façon raide », « serrer », et du vieux français estrece ou « étroitesse », donnant l’idée d’une oppression. L’étymologie donne au stress une connotation essentiellement négative alors que « l’inventeur » de ce terme, Hans Selye (1962), endocrinologue canadien, parle plutôt de la réponse de l’organisme en vue de s’adapter à toute demande de son environnement, et distinguera ainsi le stress positif du stress négatif. En effet, le stress est qualifié de bon quand les réactions permettent une adaptation satisfaisante face à une difficulté dans un délai raisonnable (aussi appelé stress aigu), mais il est considéré comme étant pathologique lorsque des désordres physiologiques ou psychologiques apparaissent et marquent un trouble d’adaptation (aussi appelé stress chronique) (Grébot, 2010).
« L’objectif n’est pas d’éviter le stress. Le stress fait partie de la vie. Eviter le stress n’est pas plus justifié que de fuir et éviter la nourriture, l’exercice ou l’amour. »
Selye, 1962
En Europe, le stress acquiert depuis peu le statut de deuxième risque pour la santé au travail, après le mal de dos. L’exposition d’un individu dans un environnement stressant peut avoir des conséquences plus ou moins néfastes pour le salarié et l’entreprise. Certaines entreprises développent des programmes de prévention mais, en règle générale, la France est en retard dans la reconnaissance et le traitement du mal-être au travail. Les cas de suicide pour raison professionnelle n’ont échappé à personne et résultent d’un véritable malaise.
Quelles sont les causes du stress?
Selon l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail, le stress n’est pas en lien direct avec le niveau absolu des exigences, mais survient lorsqu’il existe un déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face.
Il faut savoir que le stress est maximal lorsque la charge de travail, qu’elle soit trop élevée ou insuffisante, est associée à un manque de reconnaissance, un manque de sens, une perte d’autonomie, des contraintes éthiques, émotionnelles ou relationnelles. L’institut national de recherche et de sécurité (INRS) constate que les facteurs de risque deviennent nocifs lorsqu’ils s’inscrivent dans la durée, s’accumulent, sont subis, et sont incompatibles. Mais ce n’est pas tout, car le stress au travail dépend également du soutien social des collègues ou des supérieurs hiérarchiques. Par conséquent, un travail surchargé combinant une demande psychologique élevée et une faible envergure décisionnelle sera mieux supporté si la personne se sent soutenue par son entourage professionnel. Cela renvoie au modèle de Karasek.
La demande psychologique –> renvoie à la quantité de travail à accomplir, aux exigences mentales et aux contraintes de temps pour effectuer une tâche.
L’autonomie décisionnelle –> fait référence à la capacité à prendre des décisions dans la réalisation de son travail, mais surtout à la possibilité d’être créatif et d’utiliser et de développer ses compétences.
Le soutien social –> correspondant aux interactions avec les collègues et la hiérarchie et constituant une aide au travail et parfois un appui émotionnel, intervient quant à lui comme une sorte de modulateur qui tempère ou accentue la tension au travail.
Autrement dit, Karasek postule qu’une situation de travail est génératrice de stress si elle associe :
- une demande psychologique élevée ;
- une autonomie décisionnelle faible ;
- un soutien social faible de la part de l’équipe de travail ou de la hiérarchie.
Pour Lefebvre et Poirot (2011), les facteurs de risque les plus présents dans l’entreprise actuelle sont la surchage de travail, le manque de reconnaissance ainsi que l’isolement social. Le professeur Lazarus, psychologue américain a, quant à lui, montré que l’état de stress serait dû à l’évaluation qu’un individu se fait de la situation. Cette évaluation n’est pas la même pour tout le monde car elle dépend en réalité de trois types de dispositions personnelles interagissant entre elles, à savoir des dispositions :
- Psychologiques : capacité, selon les ressources et la personnalité de l’individu, de percevoir les choses de la vie de telle ou telle façon. Certains sont plus à même de relativiser une situation, contrairement à d’autres qui ont une tendance défaitiste
- Sociologiques : l’état de stress dépend également des ressources sociales, autrement dit du sexe, de l’âge et du statut social. En effet, le stress croît avec l’âge (de 6,2 pour les salariés de moins de 35 ans, il passe à 6,5 pour les plus de 45 ans). Les femmes seraient plus touchées par le stress que les hommes. L’archétype de l’individu en proie au stress serait une femme âgée de plus de 45 ans, employée à mi-temps et éventuellement célibataire avec enfants à charge
- Biologiques : l’âge, le sexe, l’état de santé et de fatigue sont des variables agissant sur la manière dont nous saisissons le monde extérieur. Le fait de ne pas être en forme accroît la vulnérabilité et la sensation d’emprise venant de l’extérieur et augmente le taux de stress
D’autre part, la société dans laquelle nous évoluons est caractérisée par plusieurs phénomènes qui peuvent être sources de stress :
- L’impératif de performance : nous sommes à une époque où, pour réussir, il faut être meilleur que les autres. Cette société prône la compétition incessante et la réussite professionnelle est l’une des caractéristiques phare du domaine professionnel.
- La mobilité : les conjoints sont de plus en plus souvent deux à travailler, et il n’est pas rare de rencontrer des familles ne se retrouvant que le week-end voire moins, ou devant déménager régulièrement. Cette mobilité résulte d’un éloignement des grands-parents et de la famille proche, qui souvent aide les parents pour l’éducation des enfants.
- La contraction du temps : l’évolution technologique a pour fonction première de nous faire gagner du temps, or les entreprises se calquent sur leurs fonctionnalités. Ainsi ce sont les employeurs qui doivent s’adapter aux performances mécaniques et non l’inverse.
- La fragilité des engagements relationnels : on constate une augmentation de la fréquence des divorces, des relations de courte durée ainsi que du nombre de personnes ressentant de la solitude. Beaucoup de personnes vivent par procuration à travers un monde virtuel sur Internet, et l’apparition d’un retrait sur cette réalité virtuelle au détriment de toute vie sociale dans le monde réel n’arrange rien
Quelles sont les conséquences dues au stress?
Comme cela a été dit plus haut, l’état de stress en lui-même n’a rien d’inquiétant, nous faisons tous face à un évènement stressant à un moment ou un autre de notre vie. Mais la durée, l’accumulation et la répétition d’une situation stressante sont des variables sérieuses et préoccupantes. Les conséquences seront plus importantes pour l’individu et il aura plus de mal à s’en sortir. La mesure du coût du stress ne prend en compte, en apparence, qu’un seul aspect quantitatif, qui est celui de l’absentéisme. En réalité, cette mesure néglige d’autres coûts naturellement plus difficiles à saisir mais tout aussi sérieux pour l’efficacité d’une entreprise. Les conséquences dues au stress peuvent être classées en quatre catégories (Poirot, 2004), également reliées entre elles, qui sont des conséquences :
- psychologiques : augmentation des troubles anxieux, des troubles dépressifs, des épisodes de détresse psychologique ;
- comportementales : augmentation de l’agressivité, du repli sur soi, de la prise de drogue et d’alcool, de la désorganisation, diminution des capacités de concentration et de mémorisation ;
- physiques : augmentation des problèmes de dos, des maladies cardiovasculaires, des troubles musculo-squelettiques, perturbations du système immunitaire ;
- organisationnelles : diminution de l’engagement vis-à-vis de l’entreprise, de la créativité dans son travail, de la solidarité vis-à-vis des collègues, de la vigilance dans le travail (augmentation des risques d’accident), envie de quitter l’entreprise.
Cependant, les conséquences les plus importantes d’un stress élevé et chronique sont l’apparition de troubles anxieux et/ou dépressifs. Le stress et les risques psychosociaux jouent un rôle important dans la dégradation de l’image de l’entreprise ou de la profession, comme avec le coût médiatique des suicides à France Télécom ou chez les agriculteurs. Il y a également le départ des talents, c’est-à-dire des personnes centrales à une entreprise et sans lesquelles elle tournerait moins bien, le présentéisme (ou démission psychologique), et une augmentation du risque juridique.
En conclusion
Le fait est que la terminologie des Risques Psychosociaux est récente, et sa prise en considération encore plus. Le DUEvRP (Document Unique d’Evaluation des Risques Professionnels) prend en compte depuis peu les risques psychologiques en plus des risques physiques. C’est la première étape d’anticipation des causes pouvant impacter le personnel d’une entreprise. Si les patrons prennent enfin conscience de l’enjeu qui se joue par la simple préoccupation des RPS, des conséquences à court, moyen et long terme sur les résultats de l’entreprise, ils investiraient davantage pour préserver leurs salariés.
Sources:
- Clot Y. (2010), Le travail à cœur, pour en finir avec les risques psychosociaux, Editions La Découverte, Paris, 2010
- Grébot E. (2010), Stress et burnout au travail : identifier, prévenir, guérir, deuxième tirage 2010, Editions d’Organisation EYROLLES
- Lefebvre B. & Poirot M. (2011), Stress et risques psychosociaux au travail, Comprendre – Prévenir – Intervenir, Elsevier Masson
- Manoukian A. (2009), La souffrance au travail, les soignants face au burn-out, Editions Lamarre
- Molinier P. (2006), Les enjeux psychiques du travail, introduction à la psychodynamique du travail, Editions Payot et Rivages, Paris.
- Poirot M. (2004). L’expérience et les résultats issus de la mesure du stress dans six grandes entreprises françaises. AGRH, congrès 2004 : La GRH mesurée, 1er au 4 septembre, Montréal, Canada
- Selye H. (1962), Le Stress de la vie, Gallimard, Paris
- Valléry G. & Leduc S. (2012), Les risques psychosociaux, Que sais-je ?, PUF, Paris.